Je me présente, Doovart, compagnon du covenant du bois cendré. Peut-être ne connaissez vous pas ce covenant ? Oh, ce n'est guère étonnant. Il est situé au coeur d'une des profondes forêts de l'ouest transilvanien, au sein d'un cercle d'arbre dont les feuilles revêtent une étrange teinte cendrée à l'approche de l'automne. C'est un covenant plutôt jeune, un covenant de printemps comme ils l'appellent. Les mages y étudient la nature... Mais je m'égare. Je ne suis pas ici pour vous compter l'histoire du covenant, et ce d'autant plus qu'elle est relativement ininteressante, croyez-moi !
Mon rôle dans le covenant est d'en assurer la survie pour ce qui est des besoins bassement matériels. Eau, nourriture, et biens variés sont mon lot quotidien.
C'est ainsi que je passe le plus clair de mon temps dans le village de Nyvel,
non loin du covenant. D'ailleurs, il faut bien avouer que depuis que j'y ai
pris pour femme une charmante paysanne, je passe de plus en plus de temps aux
petits soins de ma dulcinée, enfin... passais... Je pense même que les mages
auraient trouvé quelqu'un d'autre pour mon travail si je n'avais pas fait la
découverte que je vais vous conter : c'était il y a quelques années, 2 ans avant
la naissance de ma fille. Je travaillais dans les bois avec un bûcheron de mes
amis.
Shtonk ! Shtonk ! Shtonk !
La hache entamait le tronc de l'arbre avec avidité. Il n'y avait qu'a voir
l'homme qui la maniait pour comprendre pourquoi je n'aurais jamais pu faire
bûcheron. Il était fort, il aimait son métier, il le faisait bien. Jusqu'à ce
jour. Sans doute était-il grisé par la naissance prochaine de son fils ; elle
devait avoir lieu le lendemain. Je ne parviens toujours pas à comprendre.
L'arbre n'aurait pas du chuter si vite ; et surtout, pas de ce côté ! Et les
buissons n'auraient pas du gêner le forestier expert qu'était cet homme. Et
pourtant. L'arbre tomba ; le bucheron chuta ; l'arbre l'écrasa. J'ai l'air de
dire ça avec détachement. N'en croyez rien. Sur le coup, ce fut terrible.
Je pensais à sa femme, à son enfant qu'il ne connaitrait jamais. Mais je ne
pouvais pas me douter que ce n'était qu'un début.
Le soir même, la mère accoucha. J'errais sur la place du village lorsque
j'entendis les cris. Aux cris se mélèrent les pleurs et braillements d'un
nouveau né, puis ne survécurent que les pleurs, les braillements d'un enfant
né dans la douleur. Je n'appris que le lendemain que la mère était morte en
accouchant. Le pauvre enfant serait orphelin. Comme je connaissais bien ses
parents, et que j'étais une des personnes les plus influentes du village -
je vivais avec des mages, disait-on avec respect dans les chaumières - on me
proposa de l'adopter. J'acceptais, et baptisais l'enfant Aleph.
Dès cet instant je sentis qu'il se passait quelque chose. J'avais l'impression que les gens étaient heureux que ce soit moi qui m'occupe de cet enfant, heureux de s'en être débarassés. Je l'emmenais chez moi, et fus surpris d'entendre les chiens aboyer sur mon passage, moi qui d'ordinaire m'entend si bien avec les animaux. Je compris bien vite ce qu'il se passait. Je n'avais pas vécu au sein de mages pour rien. Cet enfant avait le don, j'en étais sûr. J'en parlais au covenant, et, comme je l'esperais, la nouvelle interessa les mages. L'un d'entre eux, un devin, demanda à examiner l'enfant. Je le menais donc, discrètement, au village. Après quelques incantations, il se tourna vers moi et me conseilla de ne pas cotoyer cet enfant de trop près. Il avait certes le don, mais la mort planait autour de lui. Malgré ma réticence, je me laissais convaincre et confiais l'enfant au mage, lequel le remis, je ne l'appris que bien plus tard, à un vieil ermite qui vivait au plus profond de la forêt.
Pendant 6 longues années (longues pour moi, ma femme ayant péri d'une sale maladie un peu après le départ d'Aleph), il fut élevé par le vieil ermite. J'en eu quelques rares nouvelles, mais n'y prétais pas tres attention. Je l'avais oublié. En fait, je le sais désormais, je voulais l'oublier. Voici ce que j'ai appris récemment (c'est fou comme même un mage peut devenir locace face à un mourant). Il passa donc 6 années avec l'ermite. Il était tres débrouillard. Heureusement, car les animaux lui témoignaient, et lui témoignent encore, une animosité féroce. Aussi commença-t-il à errer seul dans la forêt. Je ne sais pas si c'était volontaire de la part des mages, sans doute, mais il ne me semble pas que cela lui fut favorable. Il n'en devint que plus solitaire ; tout l'isolait du monde : son environnement (une forêt des plus profondes), son mentor (un ermite absorbé à méditer et à communier avec la nature), lui-même, et ce don qui l'accablait. Il aurait aimé être différent. En cela il a bien changé, Dieu merci. Mais en ce temps là, il fréquentait des endroits bien étranges, ceux qui lui fournissaient des visions. Des lieux lugubres à ce que j'ai cru comprendre. Et il n'avait que 5-6 ans ! Les mages comptaient bien le laisser atteindre ses 10 ans avant de faire de lui un apprenti (il faut dire aussi qu'aucun n'avait assez de temps à accorder à un apprenti). Cependant, une fois de plus, la mort frappa. Le vieil ermite fut attaqué et tué par une meute de loups. Aleph y survécut. Il me semble, si je m'en souviens bien, qu'il avait trouvé refuge dans une grotte enchantée. Je ne sais plus qui m'a raconté cela. Enfin, la personne n'avait pas l'air convaincue de ce qu'elle disait. Bref, toujours est-il qu'à 6 ans, ce jeune garçon était très indépendant, vivant au sein d'une forêt ennemie, craignant chaque rencontre (les animaux encore plus que les humains), et semblait plus ou moins poursuivi par la mort. À l'époque, ce n'était pas très clair. Aujourd'hui, ça l'est. Il est l'envoyé de la mort.
6 ans. 6 ans et il devenait apprenti. Ce fut une bonne chose. Il n'aurait pas survécu d'avantage, je pense. Sa taille commençait à devenir un trop grand handicap. Son maître fut le devin qui l'avait observé à sa naissance. Il appartenait à la maison Tremere. Paix à son âme. Il fut choisit pour sa sagesse, et ses théories qui devaient s'avérer excellentes pour le jeune Aleph. Il lui fallait de la discipline. Il l'obtiendrait. Et Aleph était un excellent apprenti. Bien qu'il passat de longues heures perdu dans ses rêves et ses visions, il apprenait vite, et servait avec attention son maître. Sa magie était un peu particulière, et le sage s'en apperçut bien vite. Il semblait que le jeune-homme avait une source d'énergie magique incroyable en lui, dans laquelle il pouvait puiser. Un peu comme si son corps, naturellement, pouvait produire de la magie. D'ailleurs ça me rappelle deux évènements cocasses que je vais vous conter. Tout d'abord, laissez moi vous parler du premier sort lancé par Aleph. Il avait 7 ans. Le sage vint le voir avec une baie d'un arbre au nom très compliqué, et lui demanda de l'identifier. Mais la jeunesse est impétueuse, et Aleph usa de toutes ses forces. Il se concentra et incanta. Le mage fut surpris : Aleph n'incantait pas le bon sortilège. Ne me demandez pas comment il s'en était rendu compte, moi, la magie... Toujours est-il qu'Aleph s'effondra. Son front était écarlate, ses lèvres laissèrent couler quelques gouttes de sang. Et l'arbre poussa. À partir de la graine, l'arbre poussa. Il devint trop imposant pour le mage et celui-ci jeta la gaine au loin. Depuis, la forêt compte un arbre de plus. Et pas un petit ! On le croirait vieux de plusieurs décennies ! Pour un premier sort, ce fut un premier sort ! Et on m'a même dit que lorsqu'à son réveil, le mage lui avait demandé pourquoi il avait incanté ce sortilège, il avait répondu :
- L'arbre dans sa splendeur est bien plus facile à identifier qu'enfermé dans sa coquille.Un sacré bout de jeune homme ! Depuis, il a appris à se maîtriser, dans tous les sens du terme. Maîtriser son art, maîtriser son énergie, maîtriser des passions. Il avait fait son premier pas dans l'univers de la magie, un pas de géant. Mais ce ne fut pas son plus bel ``exploit''. C'était l'année suivante. Il avait 8 ans. Il commençait à comprendre la nature de la magie, et était revenu au covenant de la forêt, avec des baies enchantées. Il déclara à qui voulait l'entendre que ces graines pousseraient et donneraient naissance à un arbre qui monterait si haut dans le ciel qu'on pourrait aller sur la lune grâce à lui. Et il incanta. De nouveau, il s'effondra. Le sort échoua ; dramatiquement. L'aura de l'endroit, les graines enchantées, son énergie vitale. Tout cela fut perverti, et Aleph créa la plus grande plante hostile à l'homme que j'ai jamais rencontré. Je n'y étais pas, mais j'ai pu voir son... heu... cadavre ? Ça occupait toute une clairière ! Sacré jeune homme. Et puis il s'assagit. Et il devint un bon apprenti.
Je ne sais que peu de choses de cette époque là. Seule une constante : la mort. Nombre de serviteurs du covenant moururent dans des circonstances variées. C'était tous des amis, des jeunes qu'il fréquentait, des adultes qui le conseillaient. Tous, près d'une dizaine, décédèrent d'une vieille blessure, d'une maladie maligne ou je ne sais trop quel désastre. On commençait à l'éviter au covenant. J'en avais eu des échos, mais je n'y prétais pas attention. J'étais trop occupé à faire belle ma fille, Yohana, pour la grande fête du village. Yohana. C'est tout ce que ma femme m'a laissé, 2 mois avant de mourir. Triste. Mais je n'y pensais plus. Ça devait être la fête. Elle avait lieu tous les 10 ans, et était l'occasion pour les mages de prouver leur utilité en améliorant les moissons, etc... Et ce fut le grand jour. Yohana avait 15 ans. Aleph 17. Inutile de rentrer dans les détails. Pourquoi elle ? Je n'en sais rien. Nous étions tous génés par la présence d'Aleph. Une sorte d'aura maléfique se dégagait de lui. Yohana devait la sentir. Enfin, quoi qu'il en soit, ils se parlèrent beaucoup. Je ne l'appris que trois mois plus tard, lorsque je m'inquiétais des fréquentes disparitions de ma fille. Évidemment, sans frère ni soeur, sans mère, et bien souvent sans père (mon travail au covenant n'était pas de tout repos), il lui arrivait souvent de partir dans la forêt, et d'y retrouver Aleph. Elle ne m'en disait rien. Et quand je l'appris, je ne pris pas garde aux bruits qui courraient sur Aleph. Ils vécurent leur idylle ainsi pendant deux ans. Aleph grandissait, il devenait peu à peu un apprenti respecté, et promettait de faire un très bon mage. Il s'était maitrisé, avait réussi à couper un peu les liens qu'il avait avec la mort. Ses visions étaient moins fréquentes. Mais sa réputation allait s'aggravant. Car les accidents mortels survenaient encore et toujours dans son sillage. Le sage passa alors une saison dans le village. Aleph l'y accompagna, et un début d'épidémie se déclancha. Tout se termina plutôt bien et assez vite, mais Aleph et le sage sentirent bien que le jeune homme était tenu pour responsable. Et ce qui devait arriver arriva. Aleph et Yohana étaient ensemble, dans une clairière au sein de la forêt. Les villageois le savaient, et organisèrent une battue. Les jeunes gens furent surpris. Ma fille fut tuée d'un javelot ais-je appris. Du moins, de toutes les versions de l'évènement que j'ai entendu, c'est celle que je crois. Et Aleph se vengea. Il fit appel aux plantes. Il se saigna et tua de son sang. Et comme cela ne suffisait pas, il du faire appel à la magie destrucrice, la magie du feu. Les buissons magiques qu'il avait crée s'embrasèrent aussitôt. Un début de feu de forêt se déclanchait. Les survivants prirent la fuite. Aleph pris le corps de ma fille et tenta de fuir. Un arbre en feu s'effondra alors sur lui. Il perdit, m'a-t-il dit, conscience de ce qui se passait. Il était faible, son côté lui semblait en feu. Il pris la fuite. Le corps de ma fille, comme celui des villageois morts, fut brulé. On n'en retrouva rien. Ils n'auront pas de tombe. Dieu accueille leurs âmes. C'est à cet arbre en feu qu'Aleph doit sa blessure, la brûlure sur son flanc droit. Vous ne l'avez jamais vue ? He bien, je devine que ça doit être aussi douloureux que c'est impréssionnant.
La mort de ma fille le catapulta dans l'univers de la mort. Il n'en reviendra jamais. Lui qui était déjà laconique se renferma totalement. Il passa les deux dernières années de son apprentissage à étudier la mort. Évidemment, cela ne fit qu'empirer sa triste réputation. Il parlait avec les morts, disait-on. Maintenant, je suis sûr qu'il en est capable, et bien plus. Peut-être même peut-il les ramener à la vie. Va-t-il nous mener à l'apocalypse ? Je n'en sais rien, et cela m'importe peu désormais. J'ai appris recemment que la mort avait encore frappé. Une semaine apres qu'il ait été nommé mage, son maître périt dans l'explosion de son laboratoire, lui qui d'ordinaire était si prudent et ne faisait jamais appel a de la magie violente ou dangereuse. Cela calma énormément Aleph. D'après ce qu'on m'en a dit, durant les deux dernières années de son apprentissage, Aleph était dominé par le désir de vengeance et avait beaucoup de mal à se controler. On le trouvait aigri dans ses bons jours, mauvais le reste du temps. Et cette nouvelle intervention de la mort le calma.
Je lui ai parlé encore il y a peu. La vengeance a quitté son coeur. Il n'a pas voulu m'en parler, mais je sais qu'il a un grand projet. Je suis sûr qu'il est l'envoyé de Dieu sur terre pour y apporter l'apocalypse. Ah... Aleph. Il ne m'avait que très peu parlé. Jamais avant d'avoir rencontré Yohana, très peu par la suite. Puis plus du tout après sa mort. Je lui en ai beaucoup voulu. Puis il est venu, il y a un mois. Il m'a dit qu'il ne me voyait pas pour éviter que la mort ne s'interesse à moi. Hahaha... Et me voilà sur mon lit de mort. Mais la mort n'est-elle pas une délivrance ? Vous ne me comprenez pas, vous tous, parce que vous êtes jeunes. Et vous ne l'avez pas vue, la mort, comme je l'ai vue, moi, comme il l'a vue, sans doute. Vous me comprendrez un jour. La mort, c'est la délivrance. Il me l'a offerte. Merci Aleph. Je vais pouvoir rejoindre mon Seigneur. Adieu à vous tous. Et merci d'avoir accordé tant d'attention aux divagations d'un mourant.
D'après les dernières paroles de Doovart
Par Villihin, Scribe (1221)